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Lutte contre les contenus haineux sur internet : adoption en nouvelle lecture de la proposition de loi

Affaires - Immatériel
22/01/2020
L'Assemblée nationale a adopté, en nouvelle lecture, le 22 janvier en fin d’après-midi, la proposition de loi « visant à lutter contre les contenus haineux sur internet ».
 
On rappellera que ce texte a suscité de vives de critiques de la part du Sénat, de la Commission européenne et des acteurs de la société civile.
L'article 1er qui crée un délit de « non retrait » fut au cœur des débats.
Il impose aux plateformes en ligne, comme Facebook et Twitter, de retirer en 24 heures les contenus jugés « manifestement illicites » et qui leur ont été notifiés.
Parmi les contenus litigieux, figurent les incitations à la haine et à la violence, les injures à caractère raciste ou encore les discriminations religieuses. 
Cette disposition, qui est au cœur du texte, est directement inspirée d'une loi allemande similaire entrée en vigueur en janvier 2018.
En cas de manquement, les plateformes peuvent encourir des amendes pouvant aller jusqu'à 1,25 million d'euros. L'objectif poursuivi est de « responsabiliser les plateformes en ligne » concernant les contenus dont elles permettent la publication.

On rappellera également que suite à l'échec de la Commission mixte paritaire, réunie le 8 janvier, une douzaine d'organismes (la Quadrature du Net, Change.org, le Conseil National des Barreaux, le Conseil National du Numérique ou encore la Ligue des droits de l'Homme) ont signé une lettre commune contre la proposition de loi aux termes de laquelle  « les opérateurs de plateformes participent désormais grandement à la structuration de l'espace public en ligne [...] Nous partageons la nécessité de questionner le rôle des grandes plateformes dans la lutte contre les contenus haineux sur Internet ».

De fait, le texte impose de recourir à des « moyens humains et, le cas échéant, technologiques » pour passer en revue les contenus litigieux ; ce qui revient à supprimer des publications illicites dans un délai aussi court que 24 heures accorde nécessairement un rôle prépondérant à la modération par algorithmes. 
« Nous nous inquiétons du rôle confié à des dispositifs technologiques de filtrage automatisés, qui font encore preuve de limites techniques profondes dans leur capacité à modérer, y compris parmi ceux les plus avancés. Ces limites sont d'autant plus prégnantes en ce qui concerne les contenus haineux dont la caractérisation juridique est souvent complexe » s'est ainsi inquiétée la Quadrature du Net.

On rappellera encore que la commission des lois de l’Assemblée nationale a adopté le 14 janvier au soir la proposition de loi en supprimant plusieurs modifications apportées au texte par le Sénat et voté l'amendement présenté par Laetitia Avia qui « rétablit l’obligation de retrait en 24 heures, par les grands opérateurs de plateforme en ligne, de tout contenu manifestement haineux qui leur est notifié » (AN, n°2583, 15 janv. 2020).

Elle a précisé, le 21 janvier, en présentant le texte à l’Assemblée nationale, que « face à la crainte légitime, de confier la modération à des robots, nous avons intégré l’obligation pour les plateformes de toujours introduire des moyens humains dans la modération des contenus. (…). Nous nous attaquons donc au problème de la haine en ligne de toutes parts et dès sa racine, via des mesures nécessaires en matière d’éducation comme de prévention et la création d’un observatoire de la haine en ligne pour mieux appréhender ce phénomène ».

On retiendra que les députés ont adopté un amendement gouvernemental excluant du champ de la régulation les contenus relatifs à la traite des êtres humains et au délit de proxénétisme.
Relayant des craintes d'associations, le député Raphaël Gérard a appuyé cette dernière exclusion de contenus, soulignant qu' « un message à caractère sexuellement explicite ou publié par des associations de défense des droits des travailleuses du sexe [aurait pu] faire l'objet d'un retrait de la part des plateformes sans qu'il ne relève d'une activité illicite ».

Concernant les dispositions clés de la proposition de loi, on retiendra aussi que l’article 2 vise à améliorer la procédure de signalement sur internet.
Les articles 3 et suivants imposent un devoir d’information et de coopération pour les plateformes.
L’article 4 est relatif au rôle du CSA dans la lutte contre les contenus haineux sur internet.
Les articles 6 et 6 bis A visent à lutter contre la duplication des sites haineux et leur financement et à renforcer l’efficacité de la réponse pénale.
Les articles 6 ter A suivants concernent le renforcement de la prévention de la haine en ligne. L’article 7 porte sur la création d’un observatoire de la haine en ligne.

Cédric O, secrétaire d’Etat chargé du numérique, s’est félicité sur Twitter de l’adoption du texte dans les termes suivants : « Nous disposons d’un texte ambitieux et équilibré pour lutter efficacement contre le fléau de la haine en ligne ».

Sur le parcours législatif sinueux du présent texte, voir Costes L., in RLDI 2020/166, p. 7 (en ligne).

 
Source : Actualités du droit