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Procès environnemental : les obstacles principalement procéduraux ?

Environnement & qualité - Environnement
24/10/2019
La Cour de Cassation a sorti un rapport intitulé : « Le procès environnemental : du procès sur l’environnement au procès pour l’environnement », qu’elle a choisi d’accompagner d’un colloque qui s’est tenu le 21 octobre. Retour sur quelques observations et réactions du panel présent.
 
L’organisation du colloque s’est quelque peu calquée sur le plan du rapport, avec le matin tout un échange autour de l’ouverture du procès et l’après-midi un panel sur le déroulement du procès. La séance s’est terminée avec un débat de plusieurs parties prenantes. Des consensus ont émergé et sont d’ailleurs, pour certains, le reflet des recommandations au législateur du rapport.

Des outils existants mais sous-exploités ou trop cloisonnés

M. Olivier Le Bot, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et intervenant au panel sur le déroulement du procès environnement, mentionne par exemple les nombreux pouvoirs du juge administratif : Indemnisation, annulation, autorisation, injonction à titre principale, voire même contraventions pour les infractions de grandes voiries. Il souligne que, pour lui, le problème à l’heure actuelle réside dans le cloisonnement de ses pouvoirs. Par exemple, dans certains cas, le juge administratif peut recevoir un référé conservatoire aussi appelé référé « mesure-utile » où il va enjoindre une autorité administrative de prendre des mesures afin de préserver les droits. En droit de l’urbanisme, le juge administratif a déjà, par exemple, enjoint le maire de réaliser des actes pour faire face aux risques d’effondrement d’un immeuble. (CE, 18 juill. 2006, n° 283474).
Cependant, l’usage de ce type de référé conservatoire ne s’est pas encore réellement aventuré sur le terrain de l’environnement. De manière générale, M. Le Bot regrette que les référés dans leur ensemble ne soient pas assez utilisés par les justiciables. Il suppose que cela est notamment dû à la difficulté de caractériser l’urgence et propose la mise en place d'un système de présomptions pour certains actes administratifs (par exemple pour une autorisation d’exploitation d’ICPE). À noter que de son côté, le rapport de la Cour de Cassation propose de créer un référé spécial en matière d’environnement (Recommandation n°14).
Dans le même ordre d’idée, M. Jean-Baptiste Perrier, professeur à l’Université d’Aix-Marseille, intervenant sur la thématique du procès environnemental devant le juge pénal suggère, une ouverture des procédures régulières aux cas de procès environnementaux. Il évoque notamment un régime de mise à l’épreuve avec un ajournement de la condamnation si des mesures de réparation sont prises, ou encore le système de la transaction pénale, notamment la convention judiciaire qui existe déjà en matière fiscale. Le rapport de la Cour de Cassation, quant à lui, envisage la reconnaissance du contrat de réparation du préjudice écologique entre les parties (donc aussi en civil). Par extension, M. Perrier propose la mise en place d’une « compliance environnementale » au sein des entreprises où, comme pour les affaires de corruption suite à une condamnation, les entreprises s’accorderaient avec le juge pour mettre en place en leur sein un système de surveillance, des dispositifs d’alerte et de signalement des irrégularités environnementales.
M. Perrier a aussi regretté que beaucoup des sanctions en environnement ne soient pas assez dissuasives. Il a notamment évoqué l’amende de Total dans le cadre de l’affaire Erika qui s’élevait à 375 000 euros (bien que l’entreprise ait été condamnée à 200 millions d’euros de dommages et intérêts). M. Sébastien Mabile, président de la commission « Droit et Politiques environnementale » du comité français de l’UICN, a ajouté qu’il faudrait revoir certaines règles processuelles de droit pénal, comme par exemple le fait qu’une entreprise puisse refuser d’exécuter certaines mesures sans rencontrer de réels obstacles, sous prétexte de secret industriel.
 
Manque de connaissances et de spécialisation des professionnels et des justiciables

Lors d’un lancement de procédure en environnement par le justiciable de nombreux choix sont à réaliser, avec parfois des freins à différents niveaux. Ne serait-ce qu'en droit privé lorsque se pose le choix de la juridiction. Pour M. Perrier, le procès pénal a certains atouts indéniables, notamment en terme de publicité et de facilité de preuves. Mais là encore, se pose la question : aller vers l’instruction ou vers le jugement ? Ce dernier est certes plus rapide, mais l’instruction permet d’avoir une plus grande participation des parties transformant une association requérante en quasi « second procureur ». Même chose pour le civil, vers quelle juridiction se tourner ?

Pour clarifier ces choix, le rapport envisage la création de juridictions et de magistrats spécialisés, comme un procureur du droit de l’environnement (Recommandations 10,11,12). Yann Aguila, président de la Commission environnement du club des juristes a même proposé la création d’un défenseur de l’environnement, semblable à l'actuel défenseur des droits.

Pour autant, Corinne Bléry, professeur à l’Université polytechnique des Hauts-de-France souligne, qu’au moins en première instance, la tendance n’est pas à la spécialisation, comme en témoigne la disparition des tribunaux de la sécurité sociale, du juge de proximité etc. Elle reprend cependant plusieurs pistes du rapport comme la création d’une juridiction dédiée, la création d’un magistrat indépendant, un rattachement à une chambre spécialisée ou encore une compétence géographique spéciale (par exemple le tribunal de Marseille). Les Juridictions Interrégionales Spécialisées (JIRS) ont aussi été évoquées à de nombreuses reprises lors des échanges et ont été envisagées comme une solution subsidiaire au régime général.

Ces propositions de spécialisation des institutions ont déclenché plusieurs réactions. Certains s’y sont montrés favorables, alors que d'autres ont émis un certain nombre de craintes. La première concerne la dispersion de la justice. Est-il souhaitable qu’une seule institution soit en charge de traiter le procès environnemental ? Cela ne risquerait-il pas de compliquer encore davantage l’accès à la justice (par exemple une association requérante n’aurait pas les moyens de se rendre à Marseille pour assister au procès, ce qui engendrerait une rupture d’égalité des armes). Les questions actuelles de choix de juridiction risqueraient de perdurer en fonction de la spécialisation des juridictions (par exemple une juridiction santé et une autre environnement, en cas de pollution des eaux locales, laquelle choisir?). La partie faible pourrait se retrouver devant la mauvaise juridiction risquant d’entrainer un vice de procédure pouvant aller jusqu’au tribunal des conflits pour Corinne Bléry.

Outre cette question de spécialisation, le consensus parmi les intervenants semble être qu’il est essentiel d’assurer une meilleure formation des magistrats. M. Thierry Fossier, conseiller à la chambre criminelle vient ajouter que les agents verbalisateurs, eux-aussi, devraient être mieux formés à ces enjeux afin de faciliter les  procédures d'enquête.
Cet enjeu de formation s'étend au-delà des magistrats pour certains intervenants. En effet, les associations requérantes s’appuient de manière régulière sur des professionnels - avocats, ou juristes - travaillant pro-bono. Il y a parfois des lacunes de leur côté également.
Un autre obstacle que ces professionnels rencontrent rapidement par ailleurs sont les conflit d’intérêts. Anaïs Berthier, juriste pour l’ONG Clientearth regroupant des avocats et des juristes qui assiste les associations dans leurs démarches juridiques en conseil et en contentieux, y est régulièrement confrontée. Certains des collègues travaillant pour ces associations ont dû se retirer d’une affaire car défendant au sein de leur cabinet une personne ayant un lien avec l’affaire. Cela fait perdre des spécialistes, pour ces associations.

L’actio popularis fait également partie des recommandations du rapport de la Cour de Cassation. Elle est définie dans le rapport comme « le droit pour chaque membre d’une collectivité d’intenter une action pour la défense d’un intérêt public » et permettrait ainsi un élargissement de l’intérêt à agir. Bien que la plupart des intervenants se sont accordés sur la difficulté de faire reconnaître un intérêt à agir pour des requérants, notamment devant les instances de l’Union Européenne, ils n'ont pas soutenu à l'unanimité la potentielle mise en place de l’actio popularis, craignant un engorgement des juridictions et considérant que les pays l’ayant instauré n’ont pas nécessairement vu de progrès sur les questions de procès environnementaux.

En conclusion : Tous les intervenants reconnaissent pouvoir apprécier qu’il y a des évolutions palpables dans les procédures lancées pour l’environnement. Le juge administratif par exemple a rendu une série de décisions en ce sens : annulation de mise sur le marché de certains produits phytosanitaires, annulation d’un arrêté ne prenant pas assez en compte (voir Pesticides : le Conseil d'État annule l'arrêté du 4 mai 2017, Actualités du droit, 3 juill.).

Cependant, les principaux obstacles restent les moyens procéduraux à la disposition des requérants qui n’ont pas toujours les moyens d’être bien conseillés et même s’ils le sont, ils restent parfois confrontés au manque de formation des juges sur certains des sujets liés au procès environnemental.

M. Gilles Martin, professeur émérite de l'Université Côte d'Azur, ira même plus loin dans ses conclusions, en regrettant un manque de connaissances et de prise en compte du fonctionnement du système économique par la justice. La preuve en est faite, a-t-il remarqué, qu’il n’y avait pas de représentant économique présent au colloque.
 
Source : Actualités du droit